Les taux négatifs ne figurent pas dans les manuels d’économie, les grands économistes n’ayant pas envisagé ce scénario qui paraissait complètement aberrant. Pourtant, ils existent bien, depuis des années maintenant, et ils s’étendent. L’Allemagne emprunte désormais jusqu’à 30 ans à taux négatif (-0,5% à 10 ans, -0,004% à 30 ans) et 60% de la dette souveraine de la zone euro, soit 4.800 milliards €, offre des rendements négatifs.

Mais pourquoi des investisseurs achètent-ils ces actifs financiers (acquérir ces obligations leur coûte de l’argent au lieu d’en rapporter) ? Certains le font pour se conformer à des obligations réglementaires (Bâle III incite à détenir des dettes souveraines, considérées comme sûres, plutôt que des actions), mais cela n’explique pas tout. En fait, ces investisseurs pensent que les taux vont encore baisser, et que, par conséquent, ils réaliseront un profit en revendant ces obligations.

Jusqu’où peut-on aller ainsi : -2%, -3% ? Justement, faisons un peu d’économie-fiction et imaginons ce que donnerait un taux négatif de -10% :

Pour l’épargne, c’est catastrophique : vous avez 100.000 € à la banque, l’année d’après 90.000 € (au lieu de toucher des intérêts, vous les perdez), ensuite 81.000 € (-10% de 90.000 €), etc. jusqu’à tout perdre.

Pour le crédit, c’est magique : si vous empruntez 100.000 € sur 10 ans (in fine, c’est-à-dire remboursement du capital à l’échéance), au lieu de verser 10.000 € d’intérêt à la banque, c’est le contraire, la banque vous les verse, et ainsi de suite pendant 10 ans. Au bout de 10 ans, vous vous retrouvez donc avec 200.000 € (les 100.000 € empruntés + 10 fois 10.000 € d’intérêts perçus), vous remboursez les 100.000 € empruntés et vous gardez 100.000 €, que vous avez donc obtenus gratuitement.

Le travail de transformation des banques est inversé, elles puisent dans l’épargne pour payer les emprunteurs. La demande de crédit explose, bien sûr, mais ça ne dure pas longtemps car les épargnants préfèrent vider leurs comptes, afin d’éviter de perdre 10% par an, pour acquérir des actifs tangibles (immobilier, or pour les plus malins, bitcoin), ce qui fait exploser leurs prix au passage. Les banques n’ont plus de ressources et c'est bientôt le credit crunch.

Pour la majorité des ménages, qui ont peu d’épargne et n’empruntent pas ou peu, le déplacement de l’épargne et des liquidités en général vers les actifs tangibles fait exploser les prix de l’immobilier et des matières premières (carburant, électricité, alimentation), ce qui provoque un effondrement de leur pouvoir d’achat.

Mais l’État vient à leur rescousse. Comme emprunter lui rapporte de l’argent, il fait exploser son déficit afin de "soutenir la demande", c’est-à-dire distribuer des allocations à foison. Mais bientôt l’évanouissement de l’épargne fait qu’il n’y a plus d’acheteurs pour sa dette, et c’est la crise pour lui aussi.

Les grosses entreprises empruntent ou lèvent de l’argent comme l’État, mais la fête est bientôt terminée. Les PME voient leurs coûts exploser (matières premières, énergie), leur situation se dégrade, aucune banque ne leur prête de l’argent. La crise économique pointe son nez.

La Banque Centrale Européenne, qui jusqu’ici faisait tourner sa planche à billets à plein régime, voit l’inflation décoller (à cause des matières premières) et décide d’arrêter cette politique. En outre, l’évaporation de l’épargne vers les actifs tangibles n’est rien d’autre qu’une "fuite devant la monnaie" annonciatrice d’une vague d’hyperinflation. La BCE a le choix entre l’hyperinflation (si elle accélère son QE) ou la remontée des taux d’intérêt en territoire positif (si elle l’arrête). Dans les deux cas, une crise dantesque s’annonce. Christine Lagarde décide de tirer à pile ou face.

Nous sommes bien sûr ici dans un scénario limite, le système aura explosé avant, mais finalement il ne fait que caricaturer ce qui se passe en ce moment...

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